II. Biens Nationaux et Biens Fonciers des Arméniens Ottomans : Spoliation et Destruction
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II. Biens Nationaux et Biens Fonciers des Arméniens Ottomans : Spoliation et Destruction


Raymond H. Kévorkian

Le Collectif 2015 : réparation remercie Raymond H. Kévorkian et Dzovinar Kévonian d’avoir accepté de participer au présent dossier par une mise en perspective historique de sa demande de réparation et de restitution des biens nationaux arméniens.

Lorsqu’on évoque les violences de masse, comme celle qui a engendré l’éradication des Arméniens ottomans de leur terroir ancestral en 1915, on ne mesure guère leurs effets secondaires, comme la captation de l’ensemble des biens collectifs et individuels des populations visées, autrement de la spoliation systématique des propriétés d’un groupe historique au profit d’un État ou d’individus. Derrière le terme de « biens » se dissimule en outre le patrimoine monumental, les traces de l’ancrage millénaire disséminées sur un vaste territoire au cours des siècles. Au-delà de l’extrême violence dont les bourreaux font preuve pour mener à bien leur projet criminel, la gestion ultérieure de ce type de butin reste un casse tête juridique nécessitant plusieurs générations, de multiples lois, pour être ingéré. Il importe aussi de souligner qu’une grande partie de ces biens, en particulier les biens immobiliers, soulève des questions non seulement de spoliation de propriétés, mais également de protection des biens culturels lorsqu’il s’agit du patrimoine monumental détenu par une institution représentant un groupe.

I. LA PÉRIODE HAMIDIENNE

Les « biens nationaux »

Le cas des Arméniens, examiné ici, s’inscrit dans un contexte étatique et juridique particulier, celui d’un Empire ottoman au sein duquel les groupes constitutifs ne disposaient pas tous des mêmes droits face à la loi, à savoir les non musulmans. Concernant les « biens nationaux », autrement dit les biens détenus par les institutions arméniennes comme le Patriarcat arménien et les fondations œuvrant dans un but bien défini, à caractère humanitaire ou éducatif, leur statut semble avoir évolué au fil du temps et, par extension, s’est trouvé plus ou moins assimilé à celui des institutions musulmanes, plus connues sous le terme de vakıf, toujours en conformité avec la loi de la charia Ces « propriétés de Dieu », par définition, inaliénables, et le plus souvent dédiées à un objet précis auquel les bénéficiaires devaient se conformer dans leur gestion quotidienne, ne pouvaient toutefois pas concerner les lieux de culte chrétiens, dont le développement était contraire à la charia[1]. Autrement dit, sans un édit accordé par le sultan en personne, les établissements religieux ne pouvaient pas obtenir de régularisation de leur statut par un tribunal de la charia et encore moins envisager la construction d’un nouvel édifice. Droit et politique se trouvaient donc étroitement liés et exigeaient des institutions arméniennes d’innombrables démarches, semées d’embuches et susceptibles de durer des décennies. Le plus souvent, cependant, le témoignage oral d’un témoin constituait l’élément prioritaire retenu par les tribunaux pour confirmer la légalité d’un bien vakıf, sauf si celui possédait un édit signé du sultan.

Une note concernant les moyens de réaliser des legs et vakıf, rédigée par des experts juristes du Patriarcat arménien de Constantinople, rappelle en son article 6, qu’il est recommandé aux donateurs « de confier le règlement de la succession au patriarche pour ceux qui habitent à Constantinople et aux archevêches pour ceux qui vivent en province »[2].

Les informations pratiques contenues dans ce document indiquent d’autre part que la donation peut se faire au profit d’une église ou d’une école, d’un monastère ou d’un hôpital, mais uniquement « pour assurer les besoins d’élèves pauvres ou de malades »[3]. En outre, toute personne peut faire un leg vakıf de ses revenus mülk [fonciers], de numéraires, de biens immobiliers de la façon suivante : a) il peut en garder l’usufruit de son vivant, les bénéficaires entrant en possession du leg après son décès ; b) il peut aussi recevoir les revenus du bien vakıf de son vivant ; c) il peut céder une partie des revenus de son vakıf à ses enfants, petits-enfants, parents et étrangers ; d) il peut imposer qu’une partie des revenus du leg soit conservée pour augmenter le fonds ; e) il peut conserver le droit de changer les conditions de gestion et de répartition d’un vakıf[4].

Dernier rappel important, un bien vakıf étant inaliénable, « les biens le composant ne peuvent être retranchés, vendus, seules la répartition de ses revenus pouvant être modifiées selon les circonstances »[5]. Le même document rappelle qu’il existe plusieurs catégories de biens immobiliers dont on ne peut pas hériter ou les transformer en vakıf, comme les propriétés emlak-ı mevkufe et arazi-i emiriye[6]. Il existait donc bien des mécanismes appropriés pour transférer, selon la nature des biens concernés, des biens personnels en « biens nationaux », terminologie couramment employée lors qu’on évoque les propriétés appartenant à des institutions arméniennes.

Les transformations sociales observées dans toute la société arménienne ottomane dans les années 1860 vont progressivement limiter les prérogatives des ordres religieux ou du moins leur imposer un contrôle centralisé, sur le modèle de l’État lui-même, émanant des instances arméniennes, en l’occurrence les services de l’administration du Patriarcat arménien de Constantinople[7]. C’est dans les années 1870 que cette administration impose des méthodes de gestion plus rigoureuses.

Deux comités sont directement impliqués dans la gestion des biens vakıf :

• Le Comité administratif, constitué de sept membres élus, il est chargé de l’administration et de l’entretien des « biens nationaux » (églises, propriétés foncières, commerces, moulins, immeubles de rapport, etc.) et des revenus (perception de loyers, impôts), des achats et des ventes de biens immobiliers, du contrôle des legs, des dépenses et des recettes, des hôpitaux, des comptes des conseils paroissiaux et de l’établissement du budget prévisionnel. Pour mener à bien ses activités, il a sous ses ordres trois corps d’inspecteurs élus: celui de l’inspection des finances, qui administre la caisse centrale du millet et tient les comptes; celui de l’inspection des legs, chargé de gérer les legs et de faire exécuter les dispositions testamentaires; celui de l’inspection des hôpitaux, qui assume la direction et l’administration des établissements arméniens (notamment l’Hôpital national du Saint-Sauveur, de Constantinople, à Yedikule) divisés en quatre catégories: les foyers pour nécessiteux et migrants des provinces, les hospices pour vieillards invalides, les asiles d'aliénés et les orphelinats. Il a sous ses ordres de nombreux fonctionnaires salariés[8].

• Le Comité des monastères a sept titulaires nommés, chargés du contrôle de l’administration des couvents, elle-même effectuée par les congrégations. Celles-ci gardent par ailleurs le droit d’élire leurs supérieurs, mais doivent favoriser la création ou l’entretien d’imprimeries, de bibliothèques et de séminaires. Ce même comité publie périodiquement un compte rendu détaillé de ses activités, lequel permet d’avoir quelques indications sur la manière de gérer ce qui constitue l’essentiel des biens vakıf détenus par les institutions arméniennes[9].

Parmi ces biens vakıf détenus par des congrégations monastiques, on compte cent soixante couvents en activités[10], plus ou moins riches, et près de trois cents autres non occupés ou confisqués par des chefs féodaux locaux, principalement des begs kurdes.

Avec la réforme interne opérée sous la houlette des services du Patriarcat dans les années 1870, les Congrégations et les diocèses de province sont tenus de rendre des comptes à la direction stambouliotes et de tenir à jour la liste de leurs propriétés et indiquer lesquelles ne disposent pas de tapu, ou actes de propriété[11].

C’est 1871 que le Patriarcat décide de mettre à jour la liste des « biens nationaux », autrement dit des biens vakıf, ou considérés comme tel, placés sous l’autorité des conseils paroissiaux[12]. Un rapport publié l’année suivante dresse la liste des mesures à prendre pour réformer le système des « vakıf de la nation ». On y apprend que les services du Patriarcat se sont d’abord attaqués à la remise en ordre des biens vakıf de la capitale et reconnaît qu’il n’a pas pu, faute de moyens, dresser un état des lieux complet concernant les vakıf de province[13].

Mais, plus important encore, il décrit le système du mütevelli qui se pratiquait jusqu’alors, en recommandant de le faire disparaître progressivement. Il s’agit apparemment d’une pratique très ancienne consistant à confier la gestion d’un ou plusieurs vakıf à des personnes physiques, dûment mandatées pour administrer ses biens, mais de fait laissées, au moins à l’époque qui nous occupe, sans contrôle véritable et par conséquent en mesure de gérer comme ils l’entendaient les biens en question.

Les listes de centaines de biens vakıf dressées dans les rapports officiels mentionnent dans chaque description du bien le nom du muteveli au nom duquel le bien est enregistré[14]. Le même rapport suggère donc, après avoir procédé à un recensement systématique des vakıf existants, de supprimer, conformément à l’article 46 de la Constitution nationale arménienne, les délégations confiées à des personnes physiques (mütevelli) ; de récupérer tous les comptes des mutevelli et les sommes produites par les vakıf qu’ils administraient ; que leurs comptes et les sommes encaissées soient transmises aux conseils paroissiaux ou aux administrateurs des institutions auxquels les vakıf sont attachés dans un but précis, afin qu’il en soit fait usage conformément aux volontés des donateurs[15].

Le rapport suggère enfin que dorénavant que lorsqu’elles reçoivent une donation de cette nature, « intikali et feraghi », les institutions nationales, « après avoir rempli toutes les conditions légales, conformément aux lois établies de l’empire », adressent « les actes de propriété au Patriarcat, afin que Sa Sainteté le Patriarche, en qualité de mütevelli général, puisse faire officiellement valider ces mêmes actes portant le sceau patriarcal par les autorités, comme cela est déjà le cas pour certains vakıf nationaux »[16].

Les publications officielles de l’administration du Patriarcat arménien de Constantinople donnent également quelques indications sur la formation de ces biens vakıf. En règle générale le donateur transmet un bien à une institution bien précise, qu’il s’agisse de paroisses, de conseils diocésains, d’hôpitaux ou de monastères. En outre, ces donations se font avec obligation pour l’institution bénéficiaire de respecter les volontés du donateur en employant les revenus de ces legs en conséquence, par exemple pour l’entretien d’orphelins, la création de classes, la publication d’ouvrages, etc. Il est rare que le donateur n’impose pas de conditions d’utilisation des fonds générés. Certaines donations, les plus importantes, sont faites directement au bénéfice du Patriarcat.

Mais il faut rappeler que pour les fondations non musulmanes, il était interdit de mentionner sur l’acte de propriété d’un bien vakıf une institution communautaire comme bénéficiaire. Il fallait donc employer une méthode dite du «droit de collusion» (muvazaa) pour contourner cet obstacle juridique[17]. Autrement dit, le fiduciaire fait appel à un tiers qui agit pour son compte, comme par exemple une église qui demande à une personne de confiance de son entourage — un des administrateurs, un prêtre le plus souvent — de faire enregistrer un bien immobilier à son nom. L’interdiction a aussi été contournée en faisant enregistrer les propriétés concernées sous des noms fictifs comme les noms de saints, la Vierge Marie, le Christ, fils de Joseph, etc.

Le tableau de l’année fiscale 1872-1873 des dépenses et recettes de l’administration patriarcale, qui inclut le patriarche lui-même, montre que sur un budget de fonctionnement total de 614 000 livres turques, 120 000 livres proviennent des recettes engendrés par les biens vakıf directement attachés au Patriarcat[18], soit presque 20 % des entrées. Cette somme donne une indication sur la valeur considérable des biens détenus par le seul Patriarcat.

Quelques exemples de biens vakıf situés dans la capitale donneront une indication de leur nature :

1. Paroisse de Kuruçeşme : église, cimetière et fontaine, avec berat officiel ; un café sit 33 rue Kör Cadesi, partie au vakıf de Sultanbayazid, inscrit au nom de Mëgrditch Kiwrkdjikhanlian, « sans contrat ». Ce dernier détient les trois berat sus-mentionnés[19].

2. Paroisse de Büyükdere : un four à pain sit au 229, Büyükdere Caddesi, inscrit au nom de Kevork Bey Yeramian, qui détient les titres de propriété.

Parmi les biens vakıf les plus considérables, il faut mentionner ceux qui sont gérés par le Patriarcat arménien de Jérusalem, dont le siège est au couvent de Saint-Jacques. Outre les biens se trouvant à Jérusalem même, dont certains co-détenus avec les Églises orthodoxe et catholique, la congrégation de Saint-Jacques possède un monastère à Bethléem et un autre à Haïfa, une résidence d’été sur la route de Béthléem, sans compter un nombre considérable de boutiques et maisons[20].

Le monastère Saint-Mère-de-Dieu Tcharkhapan d’Armach (région d’Izmit) qui fait office de séminaire principal pour le Patriarcat de Constantinople, possède un domaine considérable dont deux villages des alentours[21].

Parmi les grands monastères d’Arménie, les Saint-Apôtres de Mouch, possède 295 dönüms de terres agricoles irriguées, soit approximativement 295 hectares, et deux forêts, quatre vergers, un bois de muriers, deux moulins, un pressoir, une base agricole, trois granges, une réserve pour les légumes, 166 animaux[22].

Le monastère de l’île de Lim détient 27 terres agricoles, trois vergers, sept pâturages, trois moulins, un pressoir, une forêt, un bois de muriers (1 000 arbres), une saline confisquée par les « étrangers », 28 magasins et une maison à Van, une maison à Avants (le port de Van), un logement, un han (légué par Garabèd Balian) à Constantinople, deux commerces à Edirne, onze maisons à Tekirdağ, cinq magasins à Tiflis. La congrégation a 100 membres[23].

Le Désert de l’île de Gdouts possède 140 terrains agricoles, 14 pâturages, 17 potagers, deux pépinières, un verger, un pressoir, cinq moulins ; 30 commerces, trois maisons et un four à Van[24].

Biens privés

Concernant les biens immobiliers privés, leur statut a lui aussi longtemps reposé sur les règles immuables instaurées dans les empires de tradition musulmane, le sultan étant en quelque sorte propriétaire des biens de tous ses sujets, mais en leur octroyant néanmoins le droit d’en disposer à leur guise. Ainsi, de génération en génération c’est plus d’un droit d’usufruit qu’on héritait que d’une propriété dans le sens européen du terme. La modernisation de l’État ottoman, consistant à centraliser le pouvoir et à mettre en place une administration efficiente — si l’on peut dire à plaquer sur l’empire un modèle européen — a engendré des bouleversements politiques et socio-économiques dont ses initiateurs n’avaient manifestement pas mesuré la portée. Le nouveau code foncier ottoman, adopté en 1858, a certes instauré la propriété individuelle à l’européenne, mais celle-ci a été immédiatement détournée ou exploitée par les chefs tribaux, cheikhs et autres aghas urbains pour se faire délivrer des actes de propriété remettant en cause le droit coutumier, c’est-à-dire l’usufruit de propriétés foncières dont bénéficiaient les paysans de génération en génération sans détenir le moindre document officiel.

Après le Congrès de Berlin de 1878, qui a politisé et territorialisé la question arménienne, la question foncière devenant centrale, l’État a favorisé une nouvelle politique d’occupation des terres. Celui-ci a non seulement encouragé la spoliation des paysans arméniens, mais aussi mené une politique d’implantation des réfugiés « circassiens » venus du Nord Caucase dans les provinces arméniennes et dans les Balkans[25]. La concentration des domaines entre quelques mains, rarement qualifiées pour les cultiver, a accéléré un processus de dépeuplement de la région, les paysans se voyant dépossédés de leur gagne pain et exclus de fait de leur terroir ancestral. Paupérisation, exode rural, émigration ou tout simplement conversion à l’islam, ont été les conséquences de la fin du modèle séculaire de la « symbiose » instauré par les sultans consistant à autoriser les populations kurdes à se sédentariser dans les localités arméniennes, dès lors dotées de « parrains » tribaux kurdes assurant leur sécurité mais étant en contreparti entretenus par les paysans arméniens. En outre, la Sublime Porte a rencontré les plus grandes difficultés pour imposer un système centralisé, remettant en cause les pouvoirs tribaux locaux, de même que la collecte de l’impôt et la conscription dans ces régions dont les maîtres étaient jusqu’alors les chefs tribaux.

Comme le souligne Janet Klein[26], qui a remarquablement remis à plat le dossier complexe des régiments hamidié — institués par le sultan Abdülhamid II — la formation de ces groupes paramilitaires a engendré des transformations politiques et sociales considérables dans tous les vilayets orientaux. Adoubés par le sultan, les chefs de ces milices, qui ont compté jusqu’à 65 régiments — soit environ 60 000 hommes, recrutés dans les districts situés autour du lac de Van et sur les frontières russe et persanes, plus spécialement dans les zones à forte population arménienne —, deviennent les nouveaux « maîtres » de la région, se substituant aux anciennes familles féodales. Ils servent non seulement à réprimer les Arméniens, mais aussi et surtout à contrôler la région au nom du sultan et de l’empire. Ils se voient octroyer de multiples avantages « pour travailler dans l’intérêt de l’empire ou, pour le moins, de ne pas agir contre lui »[27]. On les laisse ainsi s’approprier les biens fonciers des paysans sédentaires, arméniens ou kurdes, puisque cela contribue à priver ces « ennemis intérieurs » de leurs moyens de subsistance, même si le discours officiel explique la création de ces milices par la nécessité de s’opposer aux « révolutionnaires arméniens ».

Les procédures de spoliation, qui visent en priorité les terres agricoles, outils de survie du paysan, sont extrêmement variées, mais à bien des égards semblables avant comme après la formation des régiments hamidié. Le cas du chef de la tribu des Hayderan, Hüseyin pacha, dominant sur la frontière turco-persane, est exemplaire à cet égard. Réputé pour ses exactions dans les villages, plusieurs fois emprisonnés, toujours libéré, il est nommé chef d’un régiment hamidié dès 1891[28]. Il en profite pour continuer à harceler les villages arméniens qui sont systématiquement vidés de leurs populations et remplacés par des Kurdes nouvellement sédentarisés.

En créant les régiments hamidié et en octroyant à leurs chefs un droit de prédation, le sultan escomptait obtenir la soumission d’une nouvelle génération de chefs tribaux kurdes, et se servir de ces derniers pour pratiquer un harcèlement multiforme destiné à créer une insécurité permanente, des conditions socio-économiques précaires, et par conséquent pousser les populations arméniennes à l’exil. Cette stratégie de harcèlement, aux conséquences démographiques évidentes, a engendré des réactions de survie et, en particulier, l’autodéfense qui est menée par les mouvements révolutionnaires. D’autant qu’elle fait suite à plusieurs décennies de persécutions et de spoliations. La question foncière, devenue une affaire de survie, prend encore plus d’ampleur avec les massacres qui se produisent de 1894 à 1896. Les 135 volumes de requêtes enregistrées par le Patriarcat arméniens entre 1890 et 1910 recensent ainsi environ 7 000 cas de spoliation de propriétés foncières dans trente-deux départements (sancak)[29].

Au final, ces massacres ont aussi eu pour effets majeurs le transfert de propriétés foncières des Arméniens vers les chefs tribaux kurdes[30]. Nombre de villages, par exemple dans la région d’Erciş sont vidés de leur population arménienne et directement occupés par les Hamidié[31]. Janet Klein documente remarquablement les effets démographiques et fonciers des massacres. Elle souligne notamment qu’après les massacres « les terres des émigrants et fugitifs arméniens étaient considérées comme mahlul (« sans propriétaire ») par le département du cadastre local et allouées ou vendues à des musulmans ». Dans certain cas, c’est un village entier qui est occupé et sa population exterminée ou chassée[32]. Dans les district d’Akhlat et Bulanık, en 1897 encore, des villageois sont contraints de céder leurs biens immobiliers, documents officiels à l’appui, à des chefs kurdes pour obtenir leur protection[33]. Ces événements ont en tout cas facilité la politique de sédentarisation des tribus kurdes, concrétisée par un transfert de propriété foncière. Ils ont beaucoup contribué au processus de désintégration du terroir arménien dont les élites politiques arméniennes, pourtant établies à Constantinople, étaient parfaitement conscientes.

II. SOUS LE RÈGNE DU COMITÉ UNION ET PROGRÈS

La période constitutionnelle (1908-1914)

Avec le rétablissement de la Constitution, faisant suite à la révolution constitutionnelle de juillet 1908 qui amène au pouvoir le Comité Union et progrès et permet du même coup à la classe politique arménienne de sortir de la clandestinité, la Chambre des représentants arménienne, est renouvelée et tient sa première séance en octobre de la même année. Le Conseil politique dirigé par un libéral, Stépan Karayan, est rapidement confronté aux douloureuses réalités du terrain, des informations alarmantes sur l’insécurité persistante dans les provinces continuant d’affluer au Patriarcat. Lors de la séance du 17 octobre, l’avocat Krikor Zohrab présente à la Chambre un rapport sur la situation générale de l’Arménie et les moyens à mettre en œuvre pour l’améliorer. Malgré la proclamation de la Constitution, souligne-t-il, rien n’a vraiment changé : les gouverneurs continuent à appliquer la politique hamidienne; la famine a provoqué l’afflux dans la capitale de plusieurs milliers de réfugiés, que le Patriarcat entretient. Zohrab propose donc la constitution d’une mission d’enquête mixte, turco-arménienne, avec pouvoir exécutif; le renvoi des valis et officiers hamidié coupables des exactions antérieures; le jugement des pillards et assassins devant une cour de justice de Constantinople ; la restitution des terres confisquées à leurs légitimes propriétaires; l’attribution aux exilés désireux de rentrer dans leurs foyers des droits et exonérations similaires à ceux attribués aux mouhadjir; l’interdiction pour les bey et agha de continuer à rançonner les paysans ; l’apport d’une aide d’urgence pour les populations au bord de la famine en leur attribuant du blé et des semences[34]. L’archevêque Matthéos Izmirlian, fraîchement rentré d’exil, suggère que l’on procure au plus vite des bêtes de somme et des instruments agraires aux paysans qui en ont été démunis. Au cours de la même séance, on apprend que les réfugiés rentrés du Caucase après la proclamation de la Constitution n’ont pas pu reprendre possession de leurs terres — occupées par des Kurdes[35]. Une délégation est en conséquence formée par la Chambre pour traiter de ces questions avec la Sublime Porte. Dirigée par K. Zohrab, Hrant Assadour et le Dr Torkomian, cette délégation reçoit des autorités l’assurance que tous les moyens vont être mis en œuvre pour rétablir les Arméniens dans leurs droits[36].

Les rapports consulaires montrent toutefois qu’il règne une situation tendue et des menaces de massacres dans les provinces arméniennes[37]. La liberté nouvelle dont bénéficient les Arméniens apparaît comme une provocation aux yeux des chefs tribaux kurdes ou des notables turcs locaux. Les chefs de l’Ittihad se sont bien gardés de dissoudre les régiments hamidiye, se contentant de leur donner une nouvelle dénomination, Aşiret Hafif Süvari Alayları. Le tout est présenté comme une politique de sécurisation et de retour à l’ordre, mais dans les faits les régiments sont conservés et officiellement transformés en « milice de réserve » dès novembre 1908[38].

Orchestrée par les autorités locales, la politique du Comité Union et Progrès, visant à ménager les chefs tribaux, n’a abouti qu’à des déclarations d’intention sans lendemain. Les paysans toujours victimes d’expropriations illégales continuaient à adresser leurs plaintes à la Chambre arménienne de Constantinople. Dans un premier temps, la celle-ci s’est contentée de déposer des takrir (réclamations officielles) auprès des services compétents du gouvernement ottoman, mais s’est rapidement convaincu qu’il ne s’agissait plus, en l’occurrence, de simples abus, tels qu’ils s’en pratiquaient depuis des siècles, mais d’une politique concertée au plus haut niveau de l’État[39].

Les négociations qui se sont engagées entre le Conseil politique et le Defterdarhane visent à rétablir les paysans dans leurs droits. Dans les faits, au nom de la légalité et de la réorganisation administrative, les autorités contre attaquent sur le terrain sensible des biens nationaux, en exigeant leurs actes de propriété. La réponse arménienne, évidente, à savoir que la plupart de ces biens, notamment les églises et les monastères, ont été acquis ou construits bien avant la conquête ottomane, entre le Ve et le XIVe siècle, n’a pas donné satisfaction. Un marchandage s’est même instauré : les fonctionnaires gouvernementaux proposent de dresser des actes de propriété en règle à condition que les Arméniens acceptent de payer les impôts légaux pour ces domaines habituellement exemptés de toutes taxes, car entrant dans le cadre de la loi sur les biens des institutions religieuses[40]. Pour échapper à ce harcèlement administratif, les instances arméniennes se retournent vers le Grand Vizir. Pour renforcer le dossier qui va lui être soumis, une Commission spéciale, élue par la Chambre, dépouille les 135 volumes de requêtes déposées de 1890 à 1910, relatant 7 000 cas de spoliation dans 32 départements (sancak) de l’Est arménien[41], et en publie quatre volumes de synthèse[42]. Il en ressort que les biens nationaux et les propriétés privées sont indistinctement accaparées; que de l’étude des plaintes se dégage le sentiment d’une politique systématique visant à priver les Arméniens de terres cultivables ; que les fonctionnaires locaux collaborent à ces actions en fermant les yeux sur les brutalités accompagnant ce type d’opération, ou encore en participant directement à l’expropriation en utilisant toutes sortes d’artifices juridiques ; que les terres ne sont pas les seuls biens visés, mais que les maisons, immeubles, boutiques, moulins sont également confisqués ; que l’État lui-même n’hésite pas à expulser de leurs foyers les chrétiens, afin d’y installer des Tcherkesses ou des Kurdes ; que dans certains cas, on a exproprié par la force un village entier et confisqué les biens de sa population; ou qu’encore des bey kurdes se sont appropriés des monastères pour en faire leur quartier général ; que bien souvent le propriétaire d’un champ continue à payer l’impôt dû pour son exploitation, alors qu’il n’en a plus la jouissance ; que nombre de terres cultivables, dont les paysans avaient l’usufruit depuis des générations, sans en posséder les titres de propriété, ont été enregistrées au nom de potentats locaux. Cette Commission a dénombré pas moins de treize méthodes différentes d’expropriation, de confiscation ou de spoliation, avant d’avouer qu’elle ne voit aucun moyen sérieux de lutter contre ces exactions dans la mesure où les autorités n’appliquent pas la loi et qu’aucun procès intenté n’a abouti.

On a cependant observé un progrès, avec l’adoption du décret-loi de 1913, instaurant un statut pour les personnes morales, dont l’article III autorise les institutions communautaires non musulmanes à faire enregistrer en leur nom une propriété inamovible, un bien vakıf, mettant ainsi fin à la pratique de faire enregistrer ces biens au nom du Christ ou de la Vierge Marie[43]. C’est pour faire suite à ce décret et se conformer à ses directives que le Patriarcat arménien de Constantinople, dont le statut était compatible avec cette disposition légale, a entrepris de faire enregistrer en son nom les églises, monastères et « biens nationaux », qui l’étaient jusqu’alors aux noms de personnes privées ou de divinités. La loi a prévu d’accorder aux institutions un délai de six mois pour se mettre en conformité. Les services patriarcaux, aidés des administrations des diocèses de province, se sont donc rapidement mis au travail et ont fait enregistrer plus de 2 000 églises, plusieurs centaines de monastères, des cimetières, hôpitaux et établissements scolaires qui relevaient de leur autorité auprès du Defter-i Hakani Emaneti (Département des titres de propriétés)[44], dont une partie, concernant les églises et monastères, a été publiée voici cinquante ans par le Catholicossat d’Etchmiadzin. Mais il n’est pas certain que ces listes soient exhaustives, car le temps a dû manquer pour faire enregistrer les domaines ou édifices spoliés au cours des décennies antérieures.

Janvier 1913 constitue indéniablement un tournant dans l’histoire de la période constitutionnelle : après qu’Enver et les radicaux aient repris le pouvoir à l’occasion d’un coup d’État, après la première et désastreuse guerre des Balkans, suivi de l’assassinat du Grand Vizir Mahmud Chevket, le 11 juin 1913, la radicalisation du CUP se manifeste notamment par la proclamation de l’état d’urgence, l’arrestation des membres de l’opposition et l’instauration d’une dictature.

À la Chambre arménienne, on a suivi avec inquiétude l’évolution de la situation politique. Au cours de la séance du 3 mai 1913, le patriarche indique aux députés que 176 takrir ont été remis au gouvernement d’octobre 1912 à mai 1913. Tous font état de pillages, de conversions forcées, de terres confisquées dans les provinces d’Arménie[45]. À Khizan, Van et Mouch, les agha et autres bey terrorisent les villageois et les font fuir. Plusieurs milliers de paysans sont, selon les dernières informations reçues par le Patriarcat, réfugiés dans les zones de montagne. La démarche des instances patriarcales consistant à obtenir des réformes dans les provinces arméniennes peut dès lors être observée comme une ultime tentative d’instaurer la sécurité des biens et des personnes dans ces régions. Parmi les multiples points du projet de réforme envisagé, le point 8 prévoit « la formation d’une commission spéciale chargée d’examiner les confiscations de terres survenues ces dernières décennies », autrement dit la question « agraire », terminologie récurrente à l’époque pour parler du problème foncier que constitue la spoliation des biens arméniens[46].

La Grande Guerre et la spoliation des biens arméniens

La dimension économique de l’entreprise de liquidation des Arméniens ottomans conçue par le CUP a rarement été appréhendée ou du moins mise en perspective comme l’un des objectifs matériels et idéologiques majeurs poursuivis par le Comité central de l’Ittihad, comme l’un des paramètres déclencheurs de l’acte génocidaire. Les Arméniens eux-mêmes ont bien senti que la spoliation dont ils étaient victimes ne relevait pas du pillage traditionnel, tel qu’il était pratiqué du temps d’Abdülhamid II. Les plus perspicaces ont compris qu’ils étaient confrontés à un mouvement coordonné visant à les ruiner et à les déposséder de leurs biens. Mais il n’est pas certain qu’ils aient mesuré toutes les conséquences de l’abolition unilatérale des Capitulations, le 1er octobre 1914[47]. Traditionnellement présentée par l’historiographie officielle comme une manifestation de la volonté du pays de se défaire de ses entraves à l’égard des puissances coloniales, la suppression de ces accords bilatéraux a eu pour effet de priver de toute protection juridique les investissements et les biens étrangers dans l’Empire ottoman et surtout de favoriser leur « nationalisation ». Ce faisant, le Comité central ittihadiste a mis en place la première phase de son projet de nationalisation de l’économie, la seconde visant à capter les biens grecs et arméniens. C’est dans le cadre de cette stratégie générale que les autorités ittihadistes ont, outre les biens privés, également visés ce qu’on appelait alors les « biens nationaux », biens inaliénables gérés en grande partie par le Patriarcat arménien de Constantinople et les diocèses de province, bénéficiant du statut de vakıf. Parmi ces biens nationaux, on peut distinguer au moins deux catégories : les propriétés immobilières essentiellement composées de boutiques, immeubles et terres données en fermage et les édifices religieux, principalement 2 538 églises et 451 monastères[48], qui ont la particularité de constituer l’essentiel du patrimoine monumental arménien, autrement dit de « biens culturels » dont le propriétaire légitime, le Patriarcat de Constantinople, a été spolié au bénéfice de l’État ottoman, bientôt relayé par la République turque.

Pour mettre la main sur les biens arméniens, quelle que soit leur nature, les autorités ont adopté, par touches successives, un arsenal de directives, lois et décrets d’application. Peu après la publication de la Loi provisoire de déportation — l’outil principal destiné à extirper les populations arméniennes de leurs foyers, une directive, datée du 10 juin 1915, a institué des commissions locales chargées de la « protection » des « biens abandonnés »[49]. C’est sur la base de cette simple mesure administrative, immédiatement accompagnée de directives secrètes adressées aux valis des provinces[50], que les opérations de spoliation ont été menées jusqu’à l’automne 1915. On peut donc dire que la loi qui formalise administrativement le pillage des biens arméniens a été adoptée après coup, c’est-à-dire après que l’essentiel des Arméniens ottomans aient été déportés. Il n’est pas inutile de préciser que cette Loi provisoire relative aux biens, dettes et créances des personnes qui ont été déportées, datée du 13/26 septembre 1331/1915 (17 Zilkade 1333)[51], a été préparée par le Directorat pour l’Installation des tribus et des émigrés, attachée au ministère de l’Intérieur, qui avait surtout pour mission de planifier les déportations. Elle a été complétée par un Règlement relatif au mode d’exécution de la loi provisoire du 13 septembre 1331/1915 sur les commissions de liquidation des biens laissés par les déportés, et leurs attributions, daté du 26 octobre/8 novembre 1331/1915 (30 Zilhicce 1333)[52], instaurant les commissions des Emval-i Metruke (« biens abandonnés »), s’apparentant à un décret d’application.

Dans son article premier, la loi fait directement allusion aux personnes « qui ont été déportées en vertu de la loi provisoire du 14/27 mai 1331/1915 »[53], mais pas à la directive du 10 juin 1915, dont les dispositions se sont certainement révélées insuffisantes. Comme nous l’avons déjà souligné, la première phase des déportations est déjà presque achevée lorsque la loi sur les « biens abandonnés » et son décret d’application sont publiés, les 26 septembre et 8 novembre 1915. Il est probable que cet arsenal législatif visait à « légaliser » les spoliations en cours, à arbitrer les innombrables litiges qu’elles engendraient et, plus sûrement, à répondre aux protestations émanant des légations étrangères, notamment de pays alliés, car la spoliation des biens mobiliers et immobiliers arméniens a également eu pour effet de léser des entreprises allemandes ou autrichiennes à l’égard desquelles des Arméniens étaient débiteurs, ou encore créditeurs[54].

Dans tous ces textes, il n’est fait aucune allusion aux populations arméniennes. On note cependant, dans l’article premier, que « les biens-créances et dettes abandonnés par des personnes physiques et morales seront liquidés par les tribunaux sur la base de mazbata que les commissions constituées à cet effet auront dressés séparément pour chaque cas »[55]. La « dénationalisation » des biens vise donc personnes physiques et morales, c’est-à-dire également les biens nationaux « inaliénables », propriété des institutions religieuses, dit vakıf, prouvant explicitement que la loi vise à dépouiller les Arméniens, mais aussi à « réquisitionner » leur patrimoine historique, comprenant des milliers d’églises et de monastères séculaires. L’article deux prévoit toutefois que les « fonctionnaires du cadastre assureront le rôle de parties adverses en cas de réclamation ou d’autres procès intentés en rapport avec lesdits biens »[56]. Autrement dit, il est prévu que les personnes « déportées » puissent faire des réclamations ! Une autre clause envisage des fraudes, en l’occurrence que les propriétaires aient « dans les quinze jours précédant leur déportation, vendu leurs immeubles par des actes simulés ou à un prix frauduleusement moindre ». Ce qui signifie qu’un propriétaire n’a pas le droit de vendre ses biens avant de partir en déportation. Implicitement, le texte convient que dans les conditions où le vendeur se trouve, il ne peut que brader ses propriétés et par conséquent nuire aux intérêts de l’état, qui veut être le bénéficiaire des opérations de liquidation des biens.

L’article neuf prévoit plus spécialement que les biens vakıf « pourront, conformément au règlement sur les émigrés, être cédés et distribués gratuitement aux immigrés (muhadjir) »[57]. Autrement dit, le déplacement quoique « provisoire » des déportés doit laisser place aux muhacir. Ce qui indique que dans l’esprit du « législateur », ces départs sont « définitifs »[58].

Le décret d’application pris le 8 novembre 1915 mérite également un examen attentif. Il prévoit que les commissions créées dans chaque kaza pour administrer ces biens seront formées d’agents du fisc, du cadastre, de l’état-civil et de l’Evkaf. L’article un prévoit que la déportation « sera constatée par un acte écrit et émanant du plus haut fonctionnaire de la localité »[59]. Il est également prévu, dans l’article deux, d’établir « d’urgence » les registres de tous les biens « bâtis et non bâtis » de personnes physiques et morales et de « dresser la liste des villages qui ont été entièrement évacués par suite de la déportation de tous les habitants »[60]. Après quoi, les documents sont transmis à des « commissions de liquidation » des « biens en déshérence ». Selon l’article cinq, celles-ci sont formées par un président « nommé par le ministère de l’Intérieur et de deux membres nommés chacun par le ministère de la Justice et des Finances »[61]. L’article sept prévoit que « les documents (mazbata) de liquidation seront [enregistrés] par les tribunaux civils dont relève le domicile légal du déporté »[62]. Les articles suivants réglementent la possibilité pour des créanciers éventuels de déportés, de déposer une requête auprès des présidents de commission pour revendiquer « les biens, soit meubles soit immeubles, laissés par les déportés » (article 12)[63].

L’article 16 prévoit en outre que « l’inventaire des objets, images, livres saints se trouvant dans les églises sera dressé et lesdits objets seront conservés. Le droit de disposer des écoles, monastères et de tout le matériel de ces établissements sera cédé au ministère de l’Instruction publique »[64].

L’article 18 recommande que les biens soient vendus aux enchères « à un prix le plus en rapport avec leur valeur réelle », tandis que l’article 22 prévoit enfin un contrôle des « opérations des commissions » par « l’administration centrale »[65].

Cela dit, nous disposons aussi de nombre d’informations sur la destruction d’édifices religieux durant les années 1915-1916, parfois menées par des soldats arméniens des amele taburu (« bataillons de travail), comme cela fut le cas pour la cathédrale arménienne de Sıvas[66].

À Bayburt, d’après le témoignage d’un survivant, Mëgrditch Mouradian, le 4 juin 1915, le premier convoi de déportés quitte la ville, suivie d’un deuxième le 8 juin et d’un troisième le 14 juin 1915. Dès le 11 juin, Ismail agha, Ibrahim bey et Piri Mehmed Necati bey entreprennent de faire détruire les monastères Sourp Kristapor de Bayburt et Sourp Krikor de Lesonk, dont ils pillent par la même occasion les trésors[67]. Dans le nord cilicien, en décembre 1915, une missionnaire américaine nous apprend qu’ « un Kurde nous apporta secrètement la nouvelle que le bâtiment de la nouvelle église de Şar avait été partiellement détruit à la dynamite »[68].

Nous disposons également d’informations concernant la destruction de la cathédrale arménienne d’Erzindjan, entâmée le 7 juillet 1915, et de celle d’Angora à la même époque (cf. photos ci-dessous).

État de la cathédrale arménienne d’Erzindjan à l’arrivée des troupes russes au début du printemps 1916.

Église arménienne d’Angora détruite après la déportation de la population arménienne de la ville (coll.Foreign Office, Kew).

Le monastère de Varak, situé dans les environs de la ville de Van, n’a pas plus été épargné, ainsi que le montre la photographie ci-après.

Monastère de Varak, 1916, ruines laissées après le passage des troupes turques (coll. Bibliothèque Nubar).

Ces actions menées dans le prolongement immédiat des massacres et des déportations peuvent à certains égards être interprétées comme une claire volonté des autorités de montrer aux populations locales que le régime a également décidé d’éradiquer toute trace patrimoniale de la présence arménienne, phénomène qui va perdurer des années durant.

Le régime met en place, à cet effet, trente-trois commissions de liquidation, réparties dans tout l’empire, dont la vocation est d’inventorier les biens mobiliers et immobiliers. D’après une source allemande sûres (des cadres dirigeants de la Deutsche Bank), la Banque Impériale Ottomane collaborait directement avec les autorités pour saisir les comptes des déportés[69].

Au lendemain de l’Armistice : restituer ou digérer les biens arméniens

Dès l’armistice de Moudros signé fin octobre 1918, la priorité a été de restaurer le Patriarcat arménien de Constantinople, donc de redonner aux Arméniens leur statut antérieur, supprimé par les autorités à l’été 1916[70]. Sa restauration est alors d’autant plus urgente que se posent simultanément plusieurs questions vitales pour des centaines de milliers de rescapés. Dans une déclaration rendue publique en novembre 1918, les hauts-commissaires français et britannique exigent du gouvernement ottoman qu’il prenne en charge le rapatriement des Grecs déportés et des rescapés arméniens, mais aussi qu’il fasse restituer les biens confisqués et leurs avoirs auprès des banques[71]. De fait, les premiers dossiers qui s’imposent aux instances arméniennes concernent le rétablissement dans leurs droits des rescapés qui rentrent dans leurs foyers, leur entretien et la mise en œuvre d’une procédure judiciaire.

Sans attendre le retour du patriarche Zaven, encore en exil à Mosul, une direction arménienne a été formée. En janvier, elle a adressé un Mémorandum aux puissances de l’Entente, qui illustre sa position[72]. Si elle ne doute pas « des bonnes dispositions » du grand vizir Tevfik, elle se demande comment les victimes peuvent être réhabilitées alors que « 80 % des fonctionnaires actuels sont des unionistes et ont trempé dans les mêmes crimes ».

Dans le contexte assez particulier qui s’est instauré après l’installation des hauts-commissaires ententistes, les Arméniens ont le sentiment que l’expérience de la guerre n’a pas modifié les pratiques du pouvoir. La direction arménienne est même persuadée « que le gouvernement ne punira pas les coupables »[73] . Le chroniqueur du Spectateur d’Orient l’a bien compris lorsqu’il écrit : «C’est la première fois dans l’histoire de la Turquie qu’un ancien grand vizir et des anciens ministres sont traduits devant la justice risquant d’encourir le châtiment pour les crimes commis sur la population de ce pays. [...] Aujourd’hui, d’anciens dirigeants de la Turquie sont poursuivis pour avoir ordonné le massacre des chrétiens. C’est un fait unique dans l’histoire de l’empire ; c’est un changement profond dans les mœurs de ce pays. Où faut-il en chercher la cause ? Cette cause ne réside que dans l’issue de la guerre mondiale »[74].

En d’autres termes, ce sont les perspectives de dislocation de l’Empire ottoman qui ont poussé les nouvelles autorités à traduire en justice la direction ittihadiste contre l’avis de la majorité de son opinion publique. La lecture de la presse stambouliote a convaincu la direction arménienne qu’elle n’avait aucune chance d’obtenir réparation de la part de tribunaux ottomans. Elle a d’emblée opté pour la formation d’une « Cour de justice internationale » et s’est mise au travail dans ce sens. Dans une déclaration publique faite le 6 janvier 1919, le Dr Krikor Tavitian, président du conseil politique, souligne que malgré le départ des principaux responsables des massacres, la majorité de la population turque n’a pas changé d’attitude et reste menaçante : «nous voyons, surtout dans les provinces, la même mauvaise volonté quant à la restitution du “butin”, des orphelins, des jeunes filles et des femmes ; les mêmes menaces sont suspendues sur les épaves qui ont échappé au carnage »[75].

Mais la destruction des édifices religieux arméniens se poursuit. Dans le sud du vilayet d’Angora, l’église et l’école de Fenese sont détruites en juillet 1919 par la population turque locale. « Les objets du culte ont été volés par le Turc Ahmed Hacı Saidoğlu »[76]. Pas très loin de là, en novembre 1919, des bandes armées s’attaquent à l’une des églises de Tomarza, puis détruisent des maisons arméniennes à Kayseri, « qui servent de bois de chauffe »[77].

L’amiral Calthorpe a rapidement mis en place un comité grec et arménien[78], chargé des réfugiés, mais aussi de le seconder dans ses efforts pour identifier, arrêter et faire inculper les auteurs de crimes contre l’humanité. Le Dr Krikor Tavitian y est le représentant arménien[79]. Mais il faut attendre le retour d’exil du patriarche Zaven, le 19 février 1919, pour que soit fondé un Bureau d’information (Deghegadou Tivan), dirigé par Archag Alboyadjian (1879-1962) et placé sous l’autorité directe du Conseil politique arménien[80] — Zaven Yéghiayan a été reçu par une foule considérable, dans des conditions « de nature à froisser les sentiments religieux et nationaux des Stambouliotes »[81] se plaignent les autorités.

Le deuxième dossier épineux que le Patriarcat a à gérer, qui nous occupe plus spécialement ici, concerne la restitution des biens spoliés pendant le génocide. Il soulevait la question d’une réparation des préjudices matériels subis par la population arménienne. Autrement dit la remise en cause de la construction de l’ «économie nationale » et du transfert des biens arméniens dont avaient surtout profité des milieux liés à la mouvance jeune-turque. La première démarche consistait évidemment à faire abroger la Loi des biens abandonnés, du 26 septembre 1915, qui avait légalisé la captation de ces biens[82]. Dès février 1919, une commission mixte, comprenant des représentants du comité arméno-grec instaurés par les Britanniques, a soumis au Conseil des ministres ottoman un projet de suppression de la loi de septembre 1915, visant à réglementer le recouvrement des biens illégalement détenus par l’état ou des particuliers[83]. On imagine aisément la multitude de problèmes engendrés par une telle démarche, notamment dans les régions où des muhadjir étaient établis dans des foyers arméniens, et qu’une telle perspective a beaucoup contribué à fédérer les notables locaux et chefs tribaux qui étaient les principaux détenteurs de ces biens. Les meurtres et les intimidations visant les rescapés de retour dans leurs foyers étaient sans doute prioritairement motivés par des considérations économiques. Supprimer la Loi des biens abandonnés signifiait s’attaquer aux élites locales, remettre en cause la propriété de biens considérés comme définitivement acquis et provoquer une levée de boucliers générale dans ces milieux. Ainsi, donner satisfaction aux rescapés était pour le gouvernement ottoman une entreprise des plus périlleuses. Celui-ci s’est donc bien gardé de ratifier la loi qui aurait permis aux rescapés de recouvrer leurs biens partout dans l’empire et a régulièrement repoussé l’échéance tout en manifestant de sa bonne volonté[84], exaspérant du même coup les Arméniens et les Grecs. Concernant les « biens nationaux », en principe inaliénables, dont le légitime propriétaire était le Patriarcat arménien de Constantinople, soit plus de deux mille cinq cents églises, quatre cents monastères, avec leurs propriétés foncières, deux mille établissements scolaires et des terres et immeubles de rapports[85], en juillet 1919, le Conseil politique du Patriarcat a adressé une note officielle au gouvernement exigeant une aide et le versement des revenus provenant des biens nationaux, vakıf, confisqués pendant la guerre, afin d’assurer les charges énormes engendrées par le retour des rescapés concentrés dans la capitale. D’après le patriarche Zaven, le Conseil n’a jamais obtenu de réponse de la Sublime Porte[86].

À défaut de loi, le Patriarcat a tenté de récupérer ses biens comme il le pouvait. Lorsqu’il a appris qu’il existait encore à Istanbul comme dans les provinces des dépôts où des biens arméniens étaient entreposés, il n’a pas hésité à employer des moyens « illégaux » pour les récupérer. Mais il n’est jamais parvenu à obtenir gain de cause pour les biens personnels[87]. D’autant que les Puissances de l’Entente ont gardé une certaine réserve sur ce point afin de ne pas favoriser le développement du mouvement unionisto-kemaliste et assurer la paix sociale.

Un rapport du Bureau d’information signale ainsi que le dépôt de la Commission centrale des « biens abandonnés », situé à Istanbul, Grand Bazar, Kürkcü Han, premier étage, n° 5 et 6, comprenait encore, après l’armistice, une trentaine de coffres-forts dont certains n’ont pas pu être fracturés, restés « sans propriétaire ». Au même niveau du han sont également stockés des antiquités, des manuscrits anciens, des vases sacrés, fruits des pillages de guerre[88]. C’est après plus d’un an de tergiversations, suite à une ultime plainte du Patriarcat[89], que les autorités ont fini par adopter, le 8/21 janvier 1920, une « Loi de restauration des propriétés arméniennes », comprenant trente-trois articles[90]. Ceux concernant les biens mobiliers constituent une sorte de vade-mecum juridique d’après-génocide. Mais ses dispositions sont loin de répondre aux demandes qui avaient été formulées dès février 1919 par le Comité mixte arméno-grec, proposant les dispositions suivantes :

« Art. 1. Est nulle toute décharge ou quittance donnée par un Arménien déporté, toute aliénation faite par lui de sa propriété mobilière, si la décharge ou quittance a été donnée et l’aliénation a été convertie pendant la durée de la déportation ou dans le mois qui l’a précédée ».

« Art. 2. Tout Arménien déporté et au cas de sa mort son héritier peut revendiquer son bien meuble dont il a été disposé, d’une manière ou d’une autre, par l’administration ou une commission ad hoc contre celui dans les mains duquel il le trouve, sauf à celui-ci son recours pour ce qu’il a payé contre l’administration ou la commission ».

« Art. 3. Tout Arménien déporté et au cas de sa mort son héritier est admis à réclamer au gouvernement d’être dédommagé pour toute perte qu’il aurait subie du fait de la vente de ses biens mobiliers par les commissions ad hoc. Une commission composée du président du tribunal civil du président de la municipalité de l’endroit et d’un délégué du Patriarcat arménien aura à apprécier le prix des objets dont le requérant aurait été dépouillé ».

« Art. 4. Toute contradiction de la part des fonctionnaires aux prescriptions des articles 1, 2 et 3 sera passible de cinq cents livres turques d’amende et de deux ans de prison »[91].

Le ministère des Finances a adressé aux autorités de province ce texte de loi[92], mais l’on peut comprendre qu’elle n’ait jamais été appliquée dans des régions sur lesquelles le pouvoir central avait depuis longtemps cédé son autorité au mouvement kémaliste et parce que dans nombre de provinces, en particulier dans les vilayets orientaux, il n’y avait pas de rescapés pour réclamer quoi que ce soit et aucune autorité civile ou religieuse reconstituée pour se réapproprier les biens nationaux et autres vakıf.

Plus généralement, cette loi entérine les « ventes » des biens arméniens consenties durant la guerre et envisage une compensation financière, un « dédommagement », pour les propriétaires légitimes si ces derniers ou leurs héritiers sont encore en vie, une manière d’entériner l’éradication définitive de la présence arménienne en Asie Mineure.

C’est la non application de cette loi qui a rendu nécessaire l’introduction d’une clause particulière relative aux « biens abandonnés » dans le traité de Sèvres[93].

D’autant que, malgré ses limites, cette loi a été fermement condamnée et rejetée par le contregouvernement kémaliste d’Ankara dans un premier vote, daté du 20 avril 1922[94], puis par une décision des autorités kémalistes du 14 septembre de la même année[95].

Une fois fermement établi au pouvoir, le régime kémaliste a même adopté, le 15 avril 1923, une nouvelle loi sur les « biens abandonnés », s’appuyant sur la loi du 26 septembre 1915, dont elle change toutefois quelques articles, abrogeant du même coup le document provisoire du 20 avril 1922[96]. Parmi les changement notables, il faut signaler de nouvelles dispositions concernant les biens vakıf qui étaient à l’origine enregistrés au ministère des Fondations pieuses et au ministère des Finances. Après leur liquidation, leurs revenus étaient reversés au Trésor pour « bénéficier aux personnes évacuées ». Les nouvelles dispositions prévoient ainsi que s’il y a réclamation au sujet de ces biens, celle-ci pourra être prise en compte dans un délai de quatre mois après publication de la loi pour les résidents de Turquie et de six mois pour les résidents de pays étrangers[97].

Le traité de Lausanne, reconnaissant officiellement la Turquie et réglant par la même occasion le statut des minorités reconnues, a cependant contraint les autorités kémalistes à réviser certaines dispositions des lois successives sur les « biens abandonnés », car elles n’étaient pas conformes aux termes du traité signé par la Turquie[98]. Conformément à ces dispositions, l’État turc était tenu de restituer les propriétés à leurs propriétaires légitimes sans condition. Le pouvoir kémalistes adopta un arsenal de décrets et lois d’exception visant à se conformer à ses obligations en la matière. Mais dans les faits, ll refusa notamment de restituer leurs biens aux non musulmans établis hors du pays.

Le premier décret a été adopté le 5 février 1925. Ce décret suggère que les propriétés des personnes ayant abandonné le pays après la signature du Traité de Lausanne ne soient pas concernées[99]. Le second décret, daté du 15 juillet 1925, concerne la saisie des dépôts bancaires des « personnes absentes » qui doivent être restitués à leurs possesseurs légitimes[100].

On peut donc dire que le traité de Lausanne a quelque peu modifié le statut des « biens abandonnés », ouvrant une brèche juridique dans le système. La loi la plus important est celle adoptée le 13 juin 1926, qui modifie les dispositions des lois du 26 septembre 1915 et du 20 avril 1923. Elle rappelle que l’État a l’obligation de saisir les propriétés abandonnées, notamment si les autorités ont constaté l’abandon de ces biens avant la signature du traité de Lausanne, mais que si cela a été observé après cette signature, elles restitueraient les biens saisis à leurs légitimes propriétaires ou, si ces derniers n’étaient pas trouvés, se chargeraient de les « gérer en leurs noms ». La loi prévoit aussi d’indemniser les propriétaires dont les biens immobiliers auraient été donnés à des migrants[101]. Dans la mesure où l’essentiel des biens immobiliers ont été captés bien avant la signature du traité de Lausanne, cette loi, qui se veut conforme à ses dispositions internationales, entérine en quelque sorte le fait accompli, par un curieux usage du droit en matière de rétroactivité.

Les minutes des travaux de la Grande assemblée turque du 15 avril 1923, concernant une des lois sur les « biens abandonnés », donne une information intéressante sur le sort des biens vakıf. Après avoir appris qu’un dixième des biens immobiliers est encore aux mains de l’État, les seuls biens confiés au Directorat pour les Fondations charitables (Vakıflar Müdürlüğü) sont estimés à 500 millions de livres turques[102].

Comparés aux 111,3 millions de livres turques du budget de l’État pour l’année 1923, comme le font fort justement remarquer Ü. Üngör et M. Polatel[103], ces 500 millions sont à la mesure de l’extraordinaire holdup opéré par l’État turc sur ses groupes minoritaires durant et après la Première Guerre mondiale.

Au vrai, le problème majeur que les autorités avaient à surmonter dans les années 1920 était que 70 à 80 % des biens immobiliers classés comme « abandonnés » n’avaient pas de propriétaires légitimes, en possession d’un titre de propriété. C’est ce qui semble avoir motivé le premier ministre Ismet Inönü à adopter l’ordonnance du 13 juin 1926, au titre révélateur : « Législation et transfert par acte notarié des biens abandonnés transférés sans documentation »[104]. C’était donc plus le besoin de régulariser la situation des usufruitiers de ces biens arméniens que la restitution d’un quelconque bien à ses propriétaires légitimes qui motivaient surtout ces « réformes » à répétition.

Nevzat Onaran recense du reste d’autres lois adoptées le 2 juin 1929 et le 19 mars 1931, qui visent tout autant à légaliser le transfert des propriétés immobilières arméniennes « considérées comme vacantes depuis quinze ans » à condition que les personnes demandeuses prouvent qu’elles occupent les lieux « de manière continuelle depuis au moins dix ans »[105].

Quant aux biens nationaux et en particulier le patrimoine monumental, il a continué à subir non seulement les assauts du temps, mais une politique continu d’élimination des traces de la présence arménienne. Dans sa remarquable étude sur l’expérience arménienne dans la Turquie post-génocide, Talin Suciyan signale quelques cas, parmi d’autres, de destructions d’édifices religieux, souvent présentés comme accidentels. Elle rapporte par exemple le cas de l’église d’Ordu, détruite en 1939 sous prétexte qu’elle avait été gravement endommagée par le tremblement de terre d’Erzindjan, située à environ 500 km. Or, un témoin note que les autorités locales ont confectionné un rapport mensongé la présentant comme dangereuse pour pouvoir la détruire en toute légalité, privant du même coup les dix à quinze familles arméniennes encore présentes de leur lieu de culte et de leur prêtre[106].

Le 24 avril 1947, les autorités centrales ont d’autre part tenté de mettre aux enchère publiques trois églises arméniennes de Kayseri et de ses environs et les propriétés leur étant attachées, soit un total de trois cents biens immobiliers[107]. Il s’agit de l’église de Talas, avec le terrain de l’école arménienne, l’église de Moundjousoun (Muncusun) et l’église de Kayseri de la « Lise Meydanı » et l’établissement scolaire lui étant accolé[108].

L’église de Sivas a pour sa part été détruite en 1950. Le quotidien Marmara rapporte que l’église désaffectée, occupée par l’armée durant des années, a été dynamitée sous le prétexte qu’elle était en mauvais état. Les Arméniens encore établis sur place ont bien tenté d’intervenir pour qu’ils soient autorisés à faire restaurer l’édifice, mais l’édifice étant inclus dans une zone militaire, la démolition fut menée à son terme[109].

L’église de Tokat a subi un sort similaire dans les années 1940[110]. Les dépendances et le séminaire du monastère d’Aghtamar, sur le lac de Van, ont également été dynamités en 1951 et l’église du Xe siècle, aujourd’hui restaurée n’a peut-être échappé au même sort que grâce à la présence sur place d’un jeune journaliste, plus tard célèbre écrivain, Yaşar Kemal, qui a fait intervenir le rédacteur en chef de son quotidien, Cumhuriyet, Nadir Nadi, pour faire arrêter la démolition[111]

La continuité idéologique et politique entre le régime jeune-turc et le régime kémaliste est, du point de vue qui nous occupe ici, largement attestée.

La loi de restitution à leurs propriétaires ou, en cas de défaut, de confiscation des biens vakıf reçus avant 1936 n’a officiellement été levée qu’à l’été 2011 : elle prévoit que si les biens récupérés abusivement par l’État turc ont été vendus, les propriétaires légitimes seront indemnisés, selon la formule employées dans les années 1920. Cette mesure a depuis été mise en œuvre, mais il est déjà acquis que fort peu de propriétés reviendront physiquement à leurs anciens propriétaires qui devront, dans le meilleur des cas, se contenter d’un « dédommagement ». Cette loi répond bien entendu aux exigences de l’Union européenne et, peut-être plus encore, aux innombrables procès perdus par l’État turc devant la Cour pénale internationale de La Haye au cours de ces dernières années.

La relative ouverture dont a fait preuve un certain temps le gouvernement AKP ne saurait toutefois dissimuler qu’il reste tributaire de l’état-major de l’Armée pour certaines questions de sécurité. Le Conseil national de Sécurité, au sein duquel siège militaires de haut rang et membres du gouvernement, a été saisi par l’un de ses membres, le général Tayyar Elmas, chef du département de planification de la mobilisation et des préparatifs de guerre, au sujet d’une directive, datée du 26 août 2005, qu’il a adressé à la Direction générale chargée des registres des propriétés et du cadastre, au sujet des registres de l’époque ottomane que cette même direction a numérisée et s’apprêtait à rendre public sur un site internet officiel.

On peut y lire : « Les archives ottomanes que vous conservez dans vos locaux doivent être scellées et inaccessibles au public, car elles sont susceptibles d’être exploitées pour des revendications de supposé génocide et de propriétés visant les biens vakıf détenus par la Fondation charitable ottomane »[112]. Autrement dit, on a interdit la diffusion de ces registres du cadastre antérieurs à la Première Guerre mondiale qui inventorient de manière systématique les propriétaires de biens immobiliers sur l’ensemble de l’ex territoire ottoman qui permettraient un inventaire complet des biens arméniens spoliés en 1915, qu’il s’agisse de biens de particuliers ou de biens nationaux, dit vakıf, avec les noms de leurs propriétaires.


[1]Hüseyin Hatemi, "Cemaat Vakıfları Konusunda Düşünceler" [Réflexions sur les Fondations des minorités], in Prof. Dr. Ergun Özsunay'a Armağan [Mélanges dédiés au Prof. Dr. Ergun Özsunay], Vedat Kitapçılık, Istanbul, 2004, p. 803, cité par Fondation H. Dink, From Empire to Republic, the Waqf (Foundations) system in Ottoman Law and Non Muslims : https://istanbulermenivakiflari.org/en/minority-foundations/legal-and-historical-process/102

[2]Կտակի, նուէրի եւ վագֆի վերաբերեալ ինչ ինչ օրինական ընդհանուր տրամադրութիւնք [Mesures générales légales concernant les legs, dons et vakıf], Constantinople, Patriarcat arménien, avril 1893, p. 6.

[3]Ibidem, pp 6-8, article 7.

[4]Ibidem, pp. 8-10, article 11.

[5]Ibidem, p. 12.

[6]Ibidem, p. 16.

[7]Pour un aperçu des structures administratives du Patriarcat arménien, cf. Raymond Kévorkian & Paul Paboudjian, Les Arméniens dans l’Empire ottoman à la veille du génocide, Paris, Arhis, 1992, pp. 7-10.

[8]Ce comité, chargé de l’administration des Biens (Avantits Tivan) doit tenir à jour les registres des « biens nationaux mobiliers et immobiliers», et faire procéder à l’encaissement des revenus afférant par les percepteurs du Patriarcat : Statut de l’administration du patriarcat, présenté à la chambre nationale le 20 mars 1913, Constantinople : Patriarcat, 1913, Article 15, §2, p. 7.

[9]Համարատուութիւն Ազգային Կեդրոնական Վարջութեան Վանօրէից [Compte rendu du Conseil central des monastères], 1872-1874 ամին, Constantinople : Patriarcat Arménien, 1874.

[10]Ibidem, pp. 32-34, liste de 160 monastères en activités, avec le nom de leurs supérieurs, sans compter
ceux qui ne sont plus en activités ou en ruines.

[11]Ibidem, p. 2.

[12]Տեղեկագիր Համարատուութեան Տնտեսական Խորհրդոյ
[Rapport relatif aux comptes par le conseil des Finances], 1872, Constantinople : éd. du Patriarcat, 1872, p. 2.

[13]Ibidem, p. 32.

[14]Ibidem, pp. 10-31, liste de plusieurs centaines de biens immobiliers : terres agricoles, pâturages, moulins, pressoirs, maisons, boutiques, etc., entrant dans le cadre des biens vakıf.

[15]Ibidem, p. 32-34.

[16]Ibidem, p. 34.

[17]Muvazaa est le nom donné à l’acte préalablement arrangé dans lequel chacune des parties accepte de faire appel à un tiers. Setrak Davuthan, article sans titre in Cemaat Vakıfları, Bugünkü Sorunları ve Çözüm Önerileri [Les fondations non musulmanes, leurs problèmes aujourd’hui et les solutions proposées], Istanbul Bar Association Human Rights Center Publications, Istanbul, 2002, p. 13.

[18]Ibidem, tableau entre les pp. 52 et 53

[19]Compte rendu du Conseil central des monastères, 1872-1874, op. cit., p. 10.

[20]Ibidem, p. 11.

[21]Ibidem.

[22]Rapport relatif aux comptes par le conseil des Finances, op. cit., p. 36.

[23]Ibidem, p. 39.

[24]Ibidem.

[25]Kemal Karpat, Ottoman Population, 1830-1914: Demographie and Social Characteristics, Madison: University of Wisconsin Press, 1985, p. 69, estime que 2 millions de ces Caucasiens, majoritairement des Circassiens, migrent en Turquie entre 1855 et 1866 et un demi-million après 1879.

[26]Janet Klein, Power in the Periphery : The Hamidiye Light Cavalry and the Struggle over Ottoman Kurdistan, 1890-1914, Ph. D,, Princeton, 2002, p. 5.

[27]Klein, op. cit., p. 6.

[28]Klein, op. cit., pp. 272-273.

[29]Տեղեկագիր Հողային Գրաւմանց Յանձնաժողովոյ [Rapport de la Commission des terres spoliées], t. I, Constantinople : Patriarcat arménien, 1910, p. 3) et en publie quatre volumes de synthèse (Constantinople 1910-1912) ; Տեղեկագիր համառատուութեան, 1912-1914 [Rapport d’activités], Constantinople, Patriarcat arménien, 1914, p. 101 sq.

[30]Ibidem, pp. 287-290, pour de nombreux exemples de spoliation de villages entiers.

[31]Rapport du consul britannique à Van, Williams, à Currie, n° 10, Van, le 12 mars 1897 : P.R.O, F.O. 424/191, FO 195/1985.

[32]Klein, op. cit., p. 288 ; Bitlis, le 25 juillet 1910 : P.R.O, F.O. 424/224.

[33]Ibidem, p. 289.

[34]Ատենագրութիւն Ազգային Ժողովոյ, Վերաբացում 1908-1909 Նստաշրջանի [Minutes de la Chambre nationale, ouverture de la Session 1908-1909], Constantinople 1909, pp. 39 et 49-54.

[35]Ibidem, p. 55.

[36]Ibidem, p. 57.

[37]Dikran Mesrob Kaligian, The Armenian Revolutionary Federation under Ottoman Constitutional Rule, 1908-1914, Ph. D., Boston College, 2003, p. 50.

[38]Klein, op. cit., la partie III, pp. 191-255, notamment p. 214. Dans le même temps, le CUP envoie des émissaires auprès des chefs tribaux et des notables pour les encourager à supporter le régime.

[39]Տեղեկագիր Համարատուութեան, 1912-1914 [Rapport de contrôle des comptes, 1912-1914], Constantinople, Patriarcat, 1914, p. 101 sq, pour un aperçu de ce type de démarches inopérantes.

[40]Ibidem, pp. 101-102.

[41]Տեղեկագիր Հողային Գրաւմանց Յանձնաժողովոյ [Rapport de la Commission des terres spoliées], t. I, Constantinople, Patriarcat, 1910, p. 3. La Commission se forme le 16 novembre 1909.

[42]Ibidem, Constantinople, Patriarcat, 1910-1912.

[43]Décret-loi du 1er mars 1913, publié dans le Takvim-i Vakâyi, le 6 mars 1913. Un projet de loi avait été déposé par le gouvernement libéral en 1912, sans pouvoir être adopté du fait de la première guerre des Balkans, et finalement entériné par le cabinet Chevket en mars 1913.

[44]Enregistrement des biens nationaux mené par le Patriarcat de Constantinople en 1912/1913 à la demande du ministère de la Justice et des Cultes ottoman : A. Safrastyan, «Կոստանդնուպօլսի Հայոց Պատրիարքարանի կողմից Թուրքիայի Արդարադատության եւ Դավանանքների Մինիստրու­թյան ներկայացված հայկական եկեղեցիների եւ վանքերի ցուցակները եւ թագրիրներ, 1912-1913 (Takrir et répertoires des églises et monastères arméniens présentés au ministère de la Justice et des Cultes de Turquie par le Patriarcat arménien de Constantinople)», Etchmiadzin 1 (1965) à 6 (1966).

[45]Minutes…, séance du 3 mai 1913, op. cit., p. 3 sq., et séance du 17 mai 1913, discours de Stépan Karayan, p. 49 sq. Cf. aussi les AMAE, corresp. politique Turquie, n. s., voll. 85, 86, 87. On lit ainsi, dans une lettre adressé par l'ambassadeur de France à son ministre de tutelle le 10 mai 1913, qu' «A Hadjine, à Sis, des propos ont été tenus; des personnages mystérieux, que l'on dit émissaire du Comité Union et Progrès, tiennent des conciliabules avec les notables musulmans et visitent les villages où les Arméniens ont cherché, en 1896, en 1909, à se défendre...Ainsi, dans toute l'Anatolie orientale, la population chrétienne vit dans le terreur. Les relations du Patriarcat et les rapports de nos consuls s'accordent à dépeindre le malaise général qui règne sur l'Arménie» (vol. 87, p. 21sq). Plus que l'euphémisme qualifiant de «malaise» la situation intérieure des provinces arméniennes, les correspondances consulaires abondent en références relatives aux propos incendiaires tenus en de multiples occasions par des personnalités influentes du Comité Union et Progrès, visant à monter les populations locales contre les Arméniens, les Grecs et les Assyro-Chaldéens (cf. notamment vol. 87, pp. 31, 69).

[46]Les réformes arméniennes et l'intégrité de la Turquie d'Asie, Constantinople le 22 mars 1913, 4 pp.; Les réformes arméniennes et les populations musulmanes: les émigrants (mohadjirs) dans les provinces arméniennes, Constantinople le 5 mai 1913; Les réformes arméniennes et le contrôle européen, Constantinople le 14 juin 1913, 4 pp.

[47]“İmtiyazat-ı Ecnebiyenin (Kapitülasyon) İlgası Hakkında İrade-i Seniyye”, Takvim-i Vekâyi, n° 1938, 17 septembre 1914. F. Weber, Eagles on the Crescent : Germany, Austria and the Diplomacy of the Turkish Alliance, 1914-1918, Ithaca et Londres, 1970., pp. 77 et 165, précise aussi les problèmes que cela provoque avec les alliés allemands et austro-hongrois.

[48]Archives du Patriarcat de Constantinople/Bibliothèque Nubar, DOR 3/1-3/3, Le nombre d'églises et de monastères, lorsqu'il faisait défaut, a été complété grâce au recensement effectué par le Patriarcat en 1912/1913 à la demande du ministère de la Justice et des Cultes de l'Empire ottoman : A. Safrastyan, « Takrir et répertoires des églises et monastères …», art. cit.

[49]Askeri Tarih Belgeleri Dergisi, n° 81 (décembre 1982), doc. 1832.

[50]BOA, Meclis-i Vükelâ Mazbatası 198/163 pour un exemple de ces directives secrètes.

[51]Version originale : Takvim-i Vekayi, n° 2303, du 14 septembre 1915, pp. 1-7 ; version arménienne : Archives du Patriarcat arménien de Constantinople, actuellement conservées dans les Archives du Patriarcat arménien de Jérusalem (dorénavant citées APC/APJ), է 177-179, Bureau d’information du Patriarcat ; version française publiée le 2 avril 1923, supplément B, de La Législation turque, Constantinople, édition Rizzo & Son, pp. 1-6 (conservé dans les archives du Service Historique de l’Armée de Terre [Vincennes], série E, carton 320, Turquie, 260, ff. 49-51v°).

[52]Version originale : Takvim-i Vekayi, n° 2343, du 28 octobre 1915, en 25 articles ; APC/APJ, Լ 205, Bureau d’information du Patriarcat ; version française publiée le 2 avril 1923, supplément B, de La Législation turque, Constantinople, édition Rizzo & Son, pp. 7-15 (conservé dans les archives du SHAT, série E, carton 320, Turquie, 260, ff. 52-56). Dadrian, Histoire..., op. cit., p. 361, parle d’une loi complémentaire du 26 septembre, suivant en cela une source fautive qui n’est pas citée.

[53]Version originale : Takvim-i Vekayi, n° 2189, du 19 mai/1er juin 1915/2 Moharrem 1333.

[54]Hilmar Kaiser, “1915–1916 Ermeni Soykırımı Sırasında Ermeni Mülkleri, Osmanlı Hukuku ve Milliyet Politikaları”, in Erik-Jan Zürcher (ed.), İmparatorluk’tan Cumhuriyet’e Türkiye’de Etnik Catışma, Istanbul, İletişim, 2007, pp. 137–38. L’auteur affirme même que la loi a été adoptée à la demande de Talat pour répondre à une note de protestation adressée à la Sublime Porte le 13 septembre 1915 suite aux pertes occasionnés aux intérêts allemands par la spoliation des biens arméniens.

[55]Version française de la loi du 13/26 septembre 1915, publiée le 2 avril 1923, supplément B, de La Législation turque, Constantinople, édition Rizzo & Son, p. 3.

[56]Ibidem.

[57]Ibidem, p. 6.

[58]Ibidem, p. 6, le texte est signé par le sultan Mehmed Reşad, ainsi que par « Ibrahim, ministre de la Justice, Talaat, ministre de l’Intérieur, Mehmed Saïd [Halim], grand vizir, Haïri, ministre de l’Evkaf».

[59]Ibidem, p. 7.

[60]Ibidem, pp. 7-8.

[61]Ibidem, p. 9.

[62]Ibidem, p. 10.

[63]Ibidem, p. 11.

[64]Ibidem, p. 13.

[65]Ibidem, p. 14. Ce décret d’application est également signé, outre les ministres concernés par la loi proprement dite, d’Enver (Guerre), Halil (Affaires étrangères), Ahmed Şükrü (Instruction publique), Abbas (Travaux publics) et Ahmed Nesimi (Commerce et Agriculture).

[66]Raymond Kévorkian, The Armenian Genocide. A Complete History, London New York, IB Tauris 2011, pp. 444-445

[67]Ibidem, p. 369.

[68]Hacin [AF]. « Récit daté du 16 décembre 1915 d’un résident étranger de Hacin [Miss Edith M. Cold], communiqué par le Comité Américain de Secours aux Arméniens et aux Syriens » : James Bryce (Viscount), Le traitement des Arméniens dans l’Empire ottoman (1915-1916), compilé par Arnold Toynbee, 2e édition, fac-similé, Paris, 1987, doc. 56, pp. 424-432.

[69]PAAA, Botschaft Konstantinopel 98, Bl. 1–3, Filiale de la Deutsche Bank à Constantinople à l’ambassade allemande, le 17 novembre 1915 ; Uğur Ümit Üngör and Mehmet Polatel, Confiscation and Destruction. The Young Turk Seizure of Armenian Property, London- New York, Continuum, 2011.

[70]Ibidem, pp. 691-693 ; décret de dissolution publié in Takvim-i Vekayi, n° 2611, 28 juillet [10 août] 1916, pp. 1-5.

[71]APC/APJ, Bureau d’information du Patriarcat, դ 368.

[72]La Renaissance, n° 50, mercredi 29 janvier 1919.

[73]Ibidem.

[74]Spectateur d'Orient, n° 116, 29 avril 1919, « Le procès de l’Union et Progrès ».

[75]La Renaissance, n° 43, mercredi 22 janvier 1919.

[76]APC/PAJ, կ 759-766, « Persécutions contre les Arméniens. La population arménienne du vilayet d’Angora », notamment կ 766.

[77]APC/APJ, Bureau d’information du Patriarcat arménien de Constantinople, կ 769.

[78]Public Record Office, F.O. 371/4174, n° 118377, lettre de l’amiral Calthorpe à Lord Curzon, du 1er août 1919.

[79]APC/APJ, E 900-902, rapport sur les activités du Bureau d’information au cours des années 1919-1920, préparé et présenté par Garabèd Nourian, membre du Conseil politique, en juin 1920.

[80]Zaven Der Yéghiayan, Պատրիարքական Յուշերս [Mes mémoires patriarcales], Le Caire 1947, pp. 301-302 et 304.

[81]Ibidem, p. 277 ; La Renaissance, n° 71, samedi 22 février 1919.

[82]Le Patriarcat est aidé en cela par le Greek Armenian Committee, formé par la commission interalliée, où ces questions sont réglées au coup par coup, au cours de 85 réunions de coordination (du 19 février 1919 au 29 mars 1922) auxquelles assistent des représentants des patriarcats grec et arménien et du Near East Relief américain : FO 371/ 3658, 371/4195, 371/4196, 371/4197, 371/5087, 371/ 5213, 371/5214, 371/6548, 371/6549, 371-7879.

[83]Zaven Der-Yéghiayan, Mémoires, op. cit., p. 321.

[84]Ibidem ; La Renaissance, n° 140-141-142, 15, 16 et 18 mai 1919.

[85]Cf. n. 2.

[86]Zaven Der-Yéghiayan, Mémoires, op. cit., p. 312. Le document fut préparés au cours d’une réunion à laquelle étaient présents : Stépan Karayan, le Dr Krikor Tavitian, Tavit Der Movsessian, Hayg Khodjassarian, Nersès Ohanian, Khatchig Sevadjian.

[87]Ibidem, pp. 321-322.

[88]APC/APJ, Bureau d’information du Patriarcat, Կ 126.

[89]APC/APJ, Bureau d’information du Patriarcat, է 181-186, n° 193, lettre du Patriarcat au ministère de la Justice, datée du 3 janvier 1920, relative à la restitution des biens dits abandonnés.

[90]Takvim-ı Vakayi, n° 3747, 12/25 janvier 1920, p. 6, col. 1 et 2. Pour des commentaires sur les conditions d’adoption de cette loi, cf. Taner Akçam, İnsan Hakları ve Ermeni Sorunu: İttihat Terakki’den Kurtuluş Savaşı’na, Istanbul, İletişim, 2002, p. 444; Suad Bertan, Ayni Haklar: Medeni Kanunun 618–764’üncü Maddelerinin Şerhi (Bu Maddelerle İlgili Kanunlar ve Eski Hükümler), Ankara, 1976, p. 203.

[91]APC/APJ, Bureau d’information du Patriarcat, է 192, « Propriétés mobilières ».

[92]La Renaissance, n° 382, 26 février 1920, et n° 388, 4 mars 1920. La Renaissance, n° 355, dimanche 25 janvier 1920, annonce la publication de la nouvelle loi concernant les biens des victimes des massacres. D’après le journal, elle légalise les spoliations : « nul n’admettra, y lit-on, que l’État turc puisse hériter de tous les biens des massacrés ».

[93]C’est en tout cas l’interprétation avancée par le patriarche : Zaven Der-Yéghiayan, Mémoires, op. cit., p. 321 ; Traité de paix entre les Puissances alliées et associées et la Turquie du 10 août 1920 (Sèvres), texte français, article 288, pp. 107-108.

[94]Loi n° 224, du 20 avril 1922. Pour le document original, cf. Salâhaddin Kardeş, “Tehcir” ve Emval-i Metruke Mevzuatı, Ankara, Maliye Bakanlığı Strateji Geliştirme Başkanlığı, 2008, pp. 97–8 ; Üngör & Polatel, Confiscation and Destruction, op. cit.

[95]Décision n° 284, du 14 septembre 1922. Pour le document original, cf. TBMM Zabıt Ceridesi, period 1, volume 23, session 102 (14 septembre 1922) ; Kardeş, “Tehcir” ve Emval-i Metruke Mevzuati, op. cit., p. 122 ; Üngör & Polatel, Confiscation and Destruction, op. cit.

[96]Loi n° 333, du 15 Avril 1923 ; Kardeş, “Tehcir” ve Emval-i Metruke Mevzuatı, op. cit., pp. 101–4 ; Üngör & Polatel, Confiscation and Destruction, op. cit.

[97]Décret n° 2453, du 29 avril 1923 pour la loi du 15 avril 1923 ; Kardeş, “Tehcir” ve Emval-i Metruke Mevzuatı,pp. 128–29 ; Üngör & Polatel, Confiscation and Destruction, op. cit.

[98]Lozan Barış Konferansı: Tutanaklar, Belgeler, vol. 2/1, Ankara, Ankara Üniversitesi Siyasal Bilgiler Fakültesi, 1969, p. 162.

[99]Décret n° 1510, du 5 février 1925 ; Kardeş, “Tehcir” ve Emval-i Metruke Mevzuatı, pp. 136–39 ; Üngör & Polatel, Confiscation and Destruction, op. cit.

[100]Décret n° 2208, 15 juillet 1925; Kardeş, “Tehcir” ve Emval-i Metruke Mevzuatı, p. 139 ; Üngör & Polatel, Confiscation and Destruction, op. cit.

[101]Ordonnance n° 3753, du 13 juin 1926 ; Kardeş, “Tehcir” ve Emval-i Metruke Mevzuatı, pp. 164-165 ; Üngör & Polatel, Confiscation and Destruction, op. cit.

[102]TBMM, Section I, vol. 29, p. 159-175 ; Üngör & Polatel, Confiscation and Destruction, op. cit.

[103]Ibidem.

[104]Nevzat Onaran, Emval-i Metruke Olayı: Osmanlı’da ve Cumhuriyette Ermeni ve Rum Mallarının Türkleştirilmesi, Istanbul, Belge, 2010.

[105]Ibidem.

[106]Talin Suciyan, The Armenians in Modern Turkey: State Policies, Society and Everyday Life, Ph D., Université de Münich, 2013, p. 63.

[107]Marmara, 6 mai 1947, n° 1628, cité par Suciyan, op. cit., p. 63.

[108]Marmara, 1er mai 1947, n° 1623, cité par Suciyan, op. cit., p. 63.

[109]Suciyan, op. cit., p. 63.

[110]Ibidem, p. 64.

[111]Yaşar Kemal & Alain Bosquet, Yaşar Kemal Kendini Anlatıyor , Istanbul, Toros Yay., 1993, pp. 67-69, cité par Suciyan, op. cit., p. 64.

[112]Hürriyet, du 9 septembre 2005 ; Onaran, Emval-i Metruke Olayı, op. cit. Il semble, d’après Raffi Bedrosyan, que l’initiative de faire numériser les registres du cadastre ottoman ait été le fait du gouvernement AKP, dans le cadre des pourparlers d’adhésion à l’Union européenne, avant que les forces armées ne mettent leur veto à leur mise sur la place publique.